Vipassana : une méditation pour la vie de tous les jours

par S.N. Goenka

L’article suivant est inspiré d’une conférence publique que M. Goenka a donnée en Australie en 1989. Vous pouvez également le télécharger en format PDF.

Partout dans le monde, aussi bien ici qu’ailleurs, l’intérêt s’accroît pour la méditation Vipassana. Qu’est-ce donc que Vipassana, et quelle en est l’utilité dans la vie de tous les jours?

Commençons par nous examiner : nous découvrons vite que notre esprit se comporte bien souvent de manière malsaine. Quelque chose ne se passe pas comme nous le désirons, une situation déplaisante apparaît et nous risquons fort de découvrir que notre esprit est alors plein de colère, de haine ou quelqu’autre type de réaction. Si nous observons plus attentivement, ces réactions se révèlent très profondes et habituelles; alors nous nous rendons compte de l’effet qu’elles produisent sur nous : elles rendent l’entière structure mentale pleine de tensions et nous dénient tout bonheur véritable. Bien plus, cette tension en nous se met à infecter l’atmosphère ambiante et mettre en danger le bonheur de ceux qui nous entourent. Un tel comportement est certainement malsain.

Lorsque par exemple survient une réaction de colère ou de haine, de passion ou de peur, on essaiera d’occulter le problème à l’aide de drogues ou d’alcool. Le soulagement que cela procure n’est pourtant que temporaire et superficiel. Pire encore est la dépendance que nous pouvons développer à leur égard, tandis que nous formons une autre habitude, source de souffrance.

Nous pouvons essayer de distraire notre esprit du problème de différentes façons; pourtant, quand bien même nous parviendrions à nous absorber totalement dans quelque chose d’autre pendant un certain temps, l’habitude de réagir demeurerait sous-jacente.

Nous essayons ordinairement d’infléchir le cours des événements à notre avantage, et ainsi nous protéger des situations déplaisantes. Nous recherchons le pouvoir, le statut social, l’argent ou bien peut-être le plaisir des sens. Nous déployons des efforts immenses pour parvenir à satisfaire nos désirs, et pourtant, même lorsque nous y parvenons, il y a toujours des choses qui ne vont pas dans le sens que nous souhaitons. Nous devons toujours faire face à des situations déplaisantes, et notre esprit n’y est toujours pas préparé : nous réagissons, et donc œuvrons à notre propre malheur.

De toute évidence donc, même en contrôlant au mieux le monde extérieur ou en prenant toutes les précautions, nous ne pouvons résoudre tous nos problèmes. Nous ne pouvons trouver une réelle sécu­rité qu’à l’intérieur de nous-mêmes, en élaborant un état mental où nous ne sommes pas dépendants des circonstances extérieures et où celles-ci ne constituent pas une menace.

Comment parvenir à une telle situation? Comment briser cette profonde et tenace habitude de toujours réagir?

D’abord, nous devons comprendre où se situe la racine profonde du problème, c’est-à-dire comment se crée l’habitude. Pour y parvenir nous devons nous comprendre nous-mêmes, comment nous fonction­nons, comment et pourquoi nous réagissons.

Dans le passé, certaines personnes parvinrent à comprendre le problème en étudiant méticuleusement ce qui se passait en elles-mêmes. Elles comprirent que chaque fois qu’une réaction survient dans l’esprit, deux phénomènes commencent à apparaître au niveau physique. D’abord la respiration perd son rythme normal, s’intensifie et s’accélère. Ce changement superficiel est facile à constater. En même temps, un changement plus subtil survient sous forme de sensation sur le corps, en relation avec la réaction mentale. De ces deux façons, l’esprit et la matière sont reliés entre eux.

Ces explorateurs de la vérité intérieure essayèrent alors d’observer la respiration et les sensations objectivement, et ainsi découvrirent qu’en procédant de cette façon on reconnaît et fait face à toute réaction mentale, sans répéter celle-ci, ni l’intensifier. La réaction perd alors de sa force et tout naturellement disparaît. Bien plus, l’habitude de réagir, construite au fil de très longues périodes, est progressivement réduite en pratiquant l’attention détachée, le simple regard intérieur.

Au fur et à mesure de la disparition des anciens conditionnements men­taux se faisait jour une expérience au-delà de l’esprit et de la matière, un état inconditionné échappant à toute description, une paix dépassant les mots. La tension due aux réactions avait disparu. Seuls restaient la joie par sympathie envers les autres, la compassion, l’amour bienveil­lant et un équilibre intérieur inébranlable. On dit de ces personnes, qu’elles aient vécu dans le passé ou qu’elles vivent de nos jours, qu’elles sont libérées, dans le sens où aucune situation extérieure ne peut les amener à réagir, ne peut troubler d’aucune façon leur sentiment de sécurité intérieure et leur bonheur.

Le procédé d’observation de soi-même qu’ils ont découvert s’appelle Vipassana. En pali, la langue de l’Inde antique, ce mot signifie litté­ralement « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». Il y a vingt­cinq siècles, le Bouddha Gautama redécouvrit Vipassana, en fit usage pour se libérer lui-même, puis se mit à l’enseigner aux autres afin qu’eux aussi puissent se libérer de toute souffrance.

Vipassana est une simple technique d’observation de la réalité telle qu’elle survient naturellement. Cela n’a rien à voir avec aucune secte ou religion et ne comporte aucun rituel ni acte de foi sans discrimination. On apprend à ne dépendre que de soi-même et cela ne comporte aucune soumission à un gourou. L’accent est mis sur l’accomplissement d’un esprit équilibré, équanime, avec lequel on pourra vivre une vie heureuse et utile. Vipassana n’entraîne pas la passivité, mais remplace plutôt la réaction aveugle par l’action positive et efficace issue d’un esprit calme et équilibré.

La technique est enseignée lors de cours : pendant leur séjour de dix jours, les participants apprennent les bases de la technique et pratiquent suffisamment pour faire l’expérience de ses effets bénéfiques.

Un cours requiert de chacun un travail intense et sérieux. La première démarche est de s’engager à s’abstenir de tuer, de voler, d’avoir une mauvaise conduite sexuelle (ce qui, dans le contexte d’un cours, signifie n’avoir aucune activité sexuelle quelle qu’elle soit), de faire mauvais usage de la parole, et de tout intoxicant. Ce simple code de conduite morale permet de calmer l’esprit qui, autrement, serait trop agité pour mener à bien la tâche d’observation de soi-même.

L’étape suivante consiste à concentrer l’esprit en apprenant à fixer l’attention sur la réalité naturelle de la respiration, telle qu’elle entre et ressort par les narines, changeant sans cesse.

Arrivé au quatrième jour, l’esprit, plus calme et concentré, est capable d’entreprendre la pratique de Vipassana proprement dit : observer les sensations à travers le corps, comprendre leur nature changeante et développer l’équanimité en apprenant à ne pas réagir face à celles-ci.

Finalement, pendant le dernier jour du stage, les participants apprennent à partager avec les autres les bienfaits qu’ils ont acquis par la pratique de Vipassana.

La pratique tout entière est en fait un entraînement mental. De même que nous pouvons utiliser le yoga pour améliorer notre santé physique, Vipassana peut être utilisé pour développer un esprit sain.

Parce que Vipassana s’est avéré être un remède véritablement salutaire, une grande importance a été donnée à la préservation de la technique dans sa forme originelle et authentique. L’enseignement n’en est pas commercialisé mais plutôt offert gracieusement, et aucune personne participant à sa diffusion n’en retire une rémunération matérielle quelconque.

Aucun frais d’admission à ces cours n’est perçu, pas même pour couvrir les coûts de la nourriture et du logement. Toutes les dépenses sont financées par les dons de personnes ayant déjà participé à un cours complet, ayant fait l’expérience des effets de Vipassana et désireuses d’aider d’autres personnes à retirer elles aussi les bienfaits de cette technique.

Bien sûr, les résultats se font sentir progressivement grâce à une pratique suivie. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que tous les problèmes se résolvent en dix jours. Pourtant, dans ce laps de temps, on peut comprendre l’essence de Vipassana afin d’en faire usage dans la vie de tous les jours. Et plus on pratique la technique, plus on se libère de la souffrance et plus proche devient le but ultime de la libération totale. Même les dix jours du cours peuvent procurer des résultats tangibles et évidemment bénéfiques pour la vie quotidienne.

Toute personne sincère est bienvenue à un cours de Vipassana, pour juger par elle-même de la façon dont la technique fonctionne et pour en mesurer les bienfaits. Ceux qui en feront l’essai trouveront en Vipassana un outil inestimable grâce auquel il est possible d’atteindre un bonheur réel et de le partager avec les autres.

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